A LAUNEACTUALITES

Mary Teuw NIANE aux récipiendaires de la 31éme promotion de l’UFR/CRAC « Personne ne construira notre pays et l’Afrique à notre place »

La cérémonie de Graduation de la 31éme Promotion de l’Ufr/CRAC a vécu. Les récipiendaires avaient pour parrain le Pr Mary Teuw NIANE. Le Directeur de Cabinet du Président de la République Bassirou Diomaye Diakhar FAYE, a tenu un discours important qui restera graver dans les annales. Pour l’ancien Recteur de l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, le Sénégal et l’Afrique ont besoin de leurs fils pour se développer et faire face à la concurrence mondiale. Pour lui « personne ne le fera á notre place ».

Discours de M T N

Monsieur le représentant du Président du Conseil d’Administration,

Messieurs les Vice-Recteurs de l’UGB

Monsieur le Coordonnateur, Président de l’Université Cheikh Amadoul Khadim de Touba,

Madame la Marraine Dr Youma Fall,

Monsieur le Directeur de l’UFR CRAC,

Messieurs les Directeurs d’UFR et d’Instituts,

Chers collègues enseignants chercheurs,

Mesdames, Messieurs les membres du personnel administratif, technique et de service,

Mesdames, Messieurs les membres du Conseil d’Administration,

Honorables invités,

Chères étudiantes, chers étudiants,

Chères lauréates, chers lauréats,

Mesdames, Messieurs,

C’est toujours avec un énorme plaisir que je me retrouve parmi vous, ici, à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Terre de mes ancêtres, traversée par la route jaune, Oolol, qu’empruntaient les djins et les raps que personne ne souhaitait rencontrer au crépuscule, timis, ou à l’heure où le soleil est à midi, njolloor. Terre d’éleveurs et d’agriculteurs, fécondée par cette rivière d’eau douce, le Joos, sur les rives duquel pêchent les maures jaajam avec leur petites pirogues mbuul qui fendent l’eau à travers des nénuphars fleuris.

Je suis heureux d’être dans cette université, dans laquelle vaches et chèvres pâturent comme aux temps anciens dans un espace parsemé d’acacias, orné de fleurs autour des bâtiments, où le soir, il n’est pas rare de rencontrer le lièvre, la perdrix ou de provoquer l’envol d’un couple de toucans. Je me demande toujours que sont devenus les toucans à qui je donnais de l’eau derrière les baies vitrées de mon bureau de recteur.

Je me souviens encore du grand python que le philosophe, Professeur Issiaka Prospère Lalêyé, tua dans sa villa. Je frissonne encore de la découverte derrière la porte de la cuisine de ma villa d’une grosse vipère sur laquelle s’abattirent cruellement nos bâtons qui la tuèrent.

L’Université Gaston Berger est unique par son cadre de vie presque sauvage, ses curricula de ruptures, ses étudiants brillants, ambitieux et rebels, ses enseignants chercheurs téméraires, incisifs et quelque peu atteints de la nonchalance légendaire Saint Louisienne.

Mesdames, messieurs,

Chères étudiantes, chers étudiants,

C’est par conviction que je pris la décision après mes études en France de rentrer servir mon pays : car personne ne construira notre pays et l’Afrique à notre place.

C’est la même conviction qui me décida à rejoindre l’équipe des pionniers pour être partie prenante de l’édification de l’Université de Saint Louis (USL), comme on l’appelait alors.

L’USL démarra ses cours avec des curricula particulièrement innovants, en rupture totale avec la tradition universitaire héritée de la France. L’USL acclimatait le système des unités de valeurs, une formation universitaire professionnalisante, l’obligation dans toutes les filières d’apprendre l’anglais, l’informatique et la recherche documentaire.

L’USL brisait aussi les codes académiques bien installés : on pouvait faire un parcours géographie sans apprendre l’histoire, un parcours mathématique sans apprendre la physique et la chimie, etc. Ce fut une véritable révolution qui secoua l’establishment universitaire d’alors.

L’USL comme tout caat, dernier enfant, eut l’outrecuidance de s’autoproclamer avant même d’en faire la preuve : université d’excellence. À cette époque, de profil bas, d’éternelle cachoterie, cette attitude transparente, ambitieuse et volontairiste provoqua une forte adversité.

Beaucoup de personnes soupçonnèrent l’USL d’arrogance car les us et coutumes d’alors ne permettaient pas aux personnes d’exhiber leurs qualités, leurs points forts. Pourtant, lorsque les diplômés de l’Université de Saint Louis eurent accès aux concours professionnels, ils raflèrent l’essentiel des places prouvant ainsi que l’attribut excellence n’était pas usurpé.

Si l’Université de Saint Louis a grandi dans l’adversité, on oublie qu’elle naquit aussi dans l’adversité, dans le combat pour la souveraineté universitaire.

En effet, la Banque mondiale et la France avaient cherché à dissuader le Sénégal d’ouvrir une deuxième université. La Banque mondiale bloqua ses financements pour l’ouverture de cette université tandis que la France tout en faisant de même interdit à ses coopérants de donner des cours dans l’établissement.

Un professeur agrégé de mathématique du Lycée Faidherbe à qui j’avais donné des travaux dirigés d’analyse fut à la fin de l’année affecté au Congo pour désobéissance.

C’est à partir de la cinquième année, suite aux résultats éclatants des étudiantes et étudiants de l’USL au Sénégal et à l’étranger que la Banque mondiale et la France changèrent d’opinion et vinrent contribuer au développement de l’Université. Je saisis cette opportunité pour remercier l’Italie dont l’aide a permis l’ouverture de l’Université de Saint Louis.

Monsieur le Recteur,

Chères étudiantes, chers étudiants,

La lutte pour la souveraineté passe par l’appropriation de toutes les connaissances et toutes les compétences qui nous permettent d’exploiter, de transformer, de valoriser nos ressources naturelles et extractives, notre patrimoine matériel et immatériel, les valeurs de notre vivre ensemble.

La conquête de ces connaissances et de ces compétences n’est pas un long fleuve tranquille.

Elle passe nécessairement par la diversification des filières, des formations pluridisciplinaires, des innovations pédagogiques qui sortent des sentiers battus. Il fallait sortir de la routine, oser former pour des métiers stratégiques qui semblaient sans avenir ou pour lesquelles nous n’avions pas des formateurs compétents. Le plus compliqué était le lancement de formations sans que ne soit établi clairement le plan de financement et surtout l’existence de source concrète de financement.

Le monde universitaire sénégalais évoluait, enfermé dans une erreur mortifère, à savoir que la création de filière de formation et d’institution de formation était tributaire de la satisfaction de toutes les conditions de leur bon fonctionnement ce qui n’existait nulle part.

Animé d’un sentiment que rien n’est impossible à une personne qui a une saine volonté de bâtir une ambition pour l’enseignement supérieur de son pays, je pus tout au long de ma carrière surmonter les obstacles financiers, matériels, culturels, néocoloniaux pour créer des filières, des institutions et des universités nouvelles et innovantes qui ont traversé la décennie grâce au travail des collègues enseignants chercheurs qui ont poursuivi l’œuvre mise en place. Trois exemples illustrent cette philosophie :

– Le Diplôme d’ingénieur en électronique et télécommunication (DIETEL),

– L’UFR Civilisation, Religion, Art et Communication (UFR CRAC),

– L’Université virtuelle du Sénégal (UVS), aujourd’hui UNCHK.

Mesdames, Messieurs,

Après le refus de la coopération française de financer le DIETEL, je lançais la première formation au Sénégal d’ingénieur en télécommunication grâce à la diaspora universitaire sénégalaise à travers le projet TOKTEN du PNUD. Beaucoup de compatriotes venus donner main forte finirent par rester au Sénégal. D’autres universités suivirent les pas de l’UGB et ouvrirent des formations d’ingénieurs en télécommunication. Dans ce domaine de pointe, hautement stratégique, aucun pays ne va assurer la formation de masse critique de cadres compétents pour un autre pays. Aujourd’hui, ces jeunes travaillent partout dans le monde. Notre pays dispose ainsi d’une masse critique d’ingénieurs formés au pays dans ce domaine. J’aurai pu citer d’autres filières de formation.

L’UFR CRAC est née de l’analyse de trois paradoxes de notre système éducatif qui montrent bien notre absence de souveraineté sur nos formations même si elles sont conçues par des Sénégalais. En effet, ils agissaient comme si c’étaient des français qui élaboraient les curricula.

Premier paradoxe : nous utilisons partout les langues nationales alors qu’elles ne sont pas enseignées comme langues vivantes, porteuses et productrices de connaissances.

Deuxième paradoxe : la religion est présente dans tout ce que nous faisons alors qu’elle n’est ni sujet de recherche encore moins objet de formation.

Troisième paradoxe : la culture est dans tout ce que nous faisons y compris dans nos activités religieuses cependant il n’y avait aucune formation universitaire dans les métiers des arts et de la culture.

Nos universités étaient ainsi absente des fondements même de notre identité culturelle. On pouvait nourrir la suspicion qu’il y avait dans le subconscient de beaucoup d’universitaires des disciplines nobles qui pouvaient être enseignées à l’Université et d’autres indignes d’un enseignement universitaire.

En fait, comble de l’aliénation, ce sont les universitaires sénégalais et de manière générale africains qui excluaient de l’espace universitaire des pans entiers de nos connaissances et savoir-faire endogènes.

La naissance de l’UFR CRAC était une révolution pédagogique, académique et une étape dans la conquête de notre souveraineté intellectuelle.

En créant l’UFR CRAC, l’UGB est restée sur la ligne réformiste de l’Université de Saint Louis. Une réforme est souvent sujette à des attaques, à des remises en causes. Il n’y a pas longtemps certaines personnes plaidaient pour la suppression de l’UFR CRAC et son rattachement à l’UFR de Lettres et Sciences humaines (UFR LSH). La roue de l’histoire est implacable. Non seulement l’UFR CRAC est plus solide que jamais mais ses produits et ses enseignants sont reconnus et respectés au Sénégal et dans le monde. Aujourd’hui que l’État veut donner toutes leurs places aux langues nationales, les étudiants de CRAC sont les mieux placés pour porter cette vision d’un Sénégal souverain. Il en est de même de l’enseignement des religions à l’école.

La filière métiers du patrimoine s’alignait parfaitement avec l’inscription de l’Île de Saint Louis au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

L’UFR CRAC a besoin de plus communication sur ses filières, ses réalisations, les résultats de recherches de ses enseignant chercheurs.

L’Université virtuelle du Sénégal fut une révolution radicale. Elle remettait en cause la conception cimentée depuis des siècles ; un enseignant face à ses étudiants dans une enceinte physique. Elle remettait aussi en cause les pratiques de l’école publique comme des daara. Elle brisait toutes les vielles habitudes de l’école publique jusqu’à la manière d’un enseignant de tenir une classe.

Pourtant grâce à ses espaces numériques ouverts (ENO) l’UVS offrait au Sénégal l’opportunité d’établir à moindre coût une université partout sur le territoire national et pour tous les âges, pour toutes les disciplines, pour toutes les compétences. Car la grande bataille de l’accès de tous nos compatriotes à toutes les connaissances et compétences est sa démocratisation, sa facilitation et surtout la proximité des centres de diffusion de la connaissance avec les apprenants. Avec un faible investissement l’UVS pourrait atteindre cinq cent mille étudiants dans tous les domaines et corps de métiers et à tous les niveaux de compétence.

Je salue tous ceux qui ont participé à l’élaboration du projet de l’UFR CRAC et à son lancement : Professeur Mouhamadou Youri Sall grâce à qui nous disons CRAC au lieu de CAC, Professeur Baydallaye Kane à qui j’avais confié le Comité de pilotage et Professeur Felwine Sarr qui fut le premier directeur de l’UFR CRAC. Chacun a apporté sa touche à ce projet dont nous célébrons aujourd’hui les récipiendaires.

C’est pour moi l’occasion de saluer l’énorme travail de la direction, des enseignants chercheurs et des PATS de l’UFR CRAC. Je vous exprime mes chaleureuses félicitations pour les brillants résultats obtenus.

Je tiens à saluer le Recteur de l’Université Gaston Berger et à le remercier pour sa sollicitude. Je salue et je remercie le Directeur de l’UFR CRAC et mes chers collègues enseignants chercheurs. J’adresse aussi mes salutations au personnel administratif, technique et de service, Je salue enfin les voisins de l’UGB.

C’est un honneur d’être choisi à côté de Youma Fall pour être parrain de cette cérémonie de graduation de l’UFR CRAC.

Chers récipiendaires, je vous exprime mes chaleureuses félicitations et je prie Dieu qu’il guide vos pas sur le chemin de la réussite et du succès.

Chères étudiantes, chers étudiants,

Je vous invite à méditer sur le sens du poème Engagement tiré de mon livre Le ciel et les mots :

ENGAGEMENT

La parole forte et absolue s’élève

Les nuages d’indécisions s’évanouissent

Mon cœur s’attendrit au son de mon Afrique qui se lève

Et ma voix communie avec des chansons qui me réjouissent

Y-a-t-il pire que l’hésitation des élites

Et la peur née d’un renoncement coupable

Nous sommes les enfants d’une terre arable

L’humus généreux, seule notre charrue est petite

Personne n’imagine nos messies aller au Paradis

Et bientôt, ils seront des milliers nos prophètes sacrés

Et la Terre, à l’unisson, célèbrera notre Afrique consacrée

L’extase d’un soir de combat victorieux et le peuple ragaillardi

Ai-je chaque jour la main à l’ouvrage, l’effort dans la constance

Le courage d’exister et la témérité́ du refus de la soumission

Ouvrir larges les fenêtres d’espérance sans aucune permission

Et, enfin, oser construire Notre Afrique, en toute impertinence.

Je vous remercie de votre aimable attention.

Saint Louis, le 14 décembre 2024

Professeur Mary Teuw Niane

Ministre, Directeur de Cabinet du Président de la République

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page